C'est pas un métier

C'est pas un métier

Wandrille Leroy
Découvrez le métier de…

Éditeur de BD, avec Wandrille Leroy

Atteint de Tsundoku, membre de la confrérie des lecteurs occasionnels, fan d’aventures nourries de phylactères ou grand adorateur de la littérature classique, vous avez déjà fricoté avec un éditeur sans même y penser. Rouage essentiel de la chaîne du livre, ce dernier évolue très souvent dans l’ombre de l’auteur pour mieux le sublimer. Alors, éditeur, un métier ingrat ? Sur le papier, peut-être, mais pas dans la réalité !

Avant d’atterrir sur votre table de chevet, de prendre la poussière dans votre bibliothèque, de trôner fièrement dans vos toilettes ou de vous suivre partout dans votre sac, l’histoire d’un livre commence toujours par un jeu de séduction entre un auteur et un éditeur. C’est en tous cas la vision de Wandrille Leroy, un homme qui peut se targuer de connaître les deux professions. Celui qui s’est fait un prénom au lieu d’un nom (son pseudo, c’est simplement Wandrille) a même superposé les deux casquettes en cofondant (avec son ami auteur Benoît Preteseille) dès 2004 la maison d’édition Warum puis Vraoum en 2005 afin de publier ses propres bandes dessinées. « Pour qu’un livre naisse, la première chose à faire, c’est de convaincre un éditeur… sauf si l’auteur choisit de le devenir lui-même : c’est typiquement ce que j’ai fait. Notre but au départ, c’était d’être reconnus comme auteurs par les éditeurs, mais ça a foiré car on s’est fait finalement reconnaître comme éditeurs par les auteurs ! »

 

Hey vous, vos papiers !

Quand on souhaite devenir éditeur, on n’a pas intérêt de buller et cela, le créateur de BD l’a très vite compris par la force des choses, passant de l’univers « artisanal » de la production de fanzines à un monde régis par mille et une règles où le moindre détail doit faire l’objet d’un travail minutieux à chaque étape du projet. « Quand tu deviens éditeur, tu dois passer par un imprimeur. Il a fallu en trouver, réfléchir à l’objet, faire des devis… Un livre, c’est le mélange de 15 000 choses, en fait. Quand tu débutes, tu as l’impression de devoir franchir une montagne : tu te rends compte que c’est la folie et qu’il s’agit d’un métier assez complet. » Et il a beau avoir franchi cette montagne depuis un petit moment maintenant (en 2006, il sortira par exemple « Moi, je » d’Aude Picault, qui s’écoulera à près de 20 000 exemplaires, devenant son premier best-seller), le fringant quadra se dit encore incapable de répondre aujourd’hui à celles et ceux qui lui demandent naïvement combien ça coûte de faire un livre. N’est pas Jean-Pierre Pernaut qui veut : « Je ne sais jamais quoi répondre car cela dépend de beaucoup de facteurs : le nombre de pages, s’il est en couleur ou en noir & blanc, s’il va avoir un vernis sélectif dessus, des dorures et des tranches en couleur, quels seront le papier et le grammage utilisés… Et, évidemment, il faut aussi parler du tirage : plus tu tires, moins ça te coûte à l’exemplaire. Au début, les devis des imprimeurs étaient hyper chers, à cause notamment des frais de calage – quand tu cales tes machines pour ajouter telle ou telle couleur. Tu découvres qu’imprimer un seul ou 500 exemplaires te reviendrait au même prix ! »

 

Tous ces éléments, Wandrille a dû apprendre à les gérer petit à petit, livre après livre, voire bévue après bévue. « Comme Benoît et moi avions fait des écoles d’arts et appris à manier deux-trois logiciels de mise en page, cela nous permettait d’être à l’aise sur la partie graphique. Pour la partie orthographique, par contre, on n’était pas encore tout à fait au point au début : on avait laissé « tu est » en première page de mon premier livre ! On a même dû laisser passer une quarantaine de fautes dans ce tirage ! »  

 

Des chiffres et des lettres

Au-delà des aspects techniques incontournables, le métier d’éditeur est aussi un métier profondément lié à l’humain car, en plus de l’auteur et de l’imprimeur, d’autres joyeux lurons se joignent à la fête. « Quand tu reçois les livres, il faut ensuite les vendre. Tu peux le faire toi-même, en louant un emplacement lors de salons, ou tu peux passer par un distributeur et un diffuseur. Le distributeur, c’est celui qui les stocke et les livre – ce qui est important car, quand tu imprimes 12 000 bouquins, il faut bien les mettre quelque part, surtout pour qu’ils soient facilement accessibles afin d’être envoyés. Le diffuseur, c’est le représentant, celui qui va vendre ton livre auprès de tous les libraires. Et le libraire, lui, va te prendre en dépôt des exemplaires entre 30 à 40 % du prix du livre. C’est-à-dire que si ton livre est vendu 10 euros, il va prendre 3 à 4 euros dessus. » Des intermédiaires nécessaires mais qui représentent un certain coût à prendre en compte, surtout quand on démarre dans la profession. « Quand tu commences à te faire connaître, à faire de bonnes ventes, tu peux négocier et augmenter tes tirages, et cela devient beaucoup plus intéressant sur le ratio gagné par exemplaire, avec un coût de fabrication qui représente 5 % du prix final. Tu peux alors mieux gagner ta vie et mieux payer tes auteurs aussi – car oui, il y a aussi les droits d’auteur ! »

 

Homme-orchestre et manager

Reste que ce métier d’éditeur n’a pas exactement la même définition chez nos amis anglosaxons. En effet, dans la langue d’Alan Moore, on différencie l’editor du publisher, le premier étant le directeur d’ouvrage, celui qui accompagne l’auteur dans l’élaboration de son livre, tandis que le second représente la maison d’édition : c’est lui qui fait les contrats avec l’auteur, qui gère les stocks, qui fait les relevés de droits d’auteur, qui avance tout l’argent, paie l’auteur, le responsable d’édition ou directeur éditorial, les graphistes, les imprimeurs… « Ce sont deux réalités distinctes, et moi, finalement, je suis un assez bon editor et un mauvais publisher parce que je n’ai pas une passion pour les chiffres et l’administratif », se marre Wandrille qui, après avoir quitté Warum et Vraoum en 2021, est devenu directeur de collection chez Delcourt. Une manière de cultiver ses qualités pour celui qui, de par son parcours, a pu quasiment expérimenter toutes les facettes du l’élaboration d’un livre, ayant été successivement (et parfois en parallèle) auteur, éditeur, graphiste, libraire et représentant.  « Aujourd’hui, je bosse avec des équipes énormes où chacun est hyper spécialisé. Ces personnes sont beaucoup plus fortes que moi parce qu’elles ne font qu’une seule des composantes du métier d’éditeur ! » Wandrille peut donc souffler : il ne semble plus avoir d’Everest à gravir à l’horizon.

 

Mettre du cœur à l’ouvrage

Un bon éditeur se doit de disposer d’un grand nombre de qualités… comme le fait de devoir être toujours à la page ! « Il faut connaître énormément de choses, voir ce qui se fait en permanence, lire beaucoup, avoir une certaine culture pour ne pas rééditer des livres qui ont déjà été faits. » En tant que premier lecteur, son regard critique le pousse également à devoir être sincère avec un auteur tout en prenant en compte son ego. « Le plus beau compliment que je peux faire à un auteur, c’est de l’éditer, et le meilleur service que je peux lui rendre, c’est d’être pro avec lui, d’être attentif sur son livre, de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. » Organisé et patient (un projet de livre peut facilement durer plusieurs mois et même au-delà), l’éditeur a aussi pour rôle de transmettre son enthousiasme aux commerciaux, aux attachés de presse… voire au grand patron (« quand je veux faire un livre désormais, je dois d’abord convaincre Guy Delcourt, quitte à revenir à la charge plusieurs fois »). Enfin, il doit surtout avoir conscience du caractère capricieux des best-sellers et être un peu parieur dans l’âme. « Quand un livre se plante, c’est toujours la faute d’un autre : l’auteur accuse l’éditeur, l’éditeur accuse les représentants, etc. Mais la vérité, c’est que le succès reste un miracle et qu’il n’y a pas de recette pour y parvenir : tous les éditeurs se plantent régulièrement ! »


L’école de la vie ou une vraie école ?

Si un profil comme Wandrille estime que rien ne pourra jamais remplacer l’expérience du terrain pour un métier si complexe et transversal (« quand un imprimeur t’explique les choses sur place, tu apprends plus que dans un cours »), il existe cependant de nombreuses formations de bac+2 à bac+5 (DUT, BTS, Licence, Master, Master pro) ouvrant aux métiers du livre et à l’édition papier et numérique. On ne saurait trop vous conseiller de vous rendre au préalable à des Journées Portes Ouvertes pour découvrir plus spécifiquement la pédagogie et le contenu des cours car, au fond, le métier d’éditeur peut être aussi très différent selon la nature même de l’ouvrage visé. En effet, on n’édite pas de la même façon un livre scolaire ou scientifique, une bande dessinée, un roman ou un manga… Rappelons enfin qu’en 2021, le Syndicat national de l’édition estimait à environ 10 000 le nombre d’éditeurs en France, dont 20 grandes maisons ayant plus de 5 000 titres chacun.

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