C'est pas un métier

C'est pas un métier

podcast magicien
Découvrez le métier de…

Magicien, avec David Stone et Alexis De La Fuente

Ils vous embrouillent volontairement, vous perturbent parfois, vous manipulent avec dextérité dès que l’occasion se présente et ont toujours un tour dans leur sac. Non, on ne parle pas ici des complotistes ni des représentants de la classe politique, mais bien des magiciens. Des artistes qui, pour réussir à faire leur trou, ne doivent pas se bercer d’illusions. En effet, seul le travail paie dans le petit milieu de la prestidigitation !

Tour de cartes (de visite)

« Tu ne veux pas faire un métier normal ? » Cette phrase, celles et ceux qui veulent se lancer dans la magie ne sont jamais à l’abri de l’entendre au moins une fois. Il faut dire que le magicien, comme de nombreux autres métiers artistiques, souffre de son image de « métier passion », une classification de saltimbanque dans laquelle il est facile de glisser les hobbys et passe-temps pas assez sérieux pour en faire une véritable profession. Sauf que derrière chaque tour réalisé, il y a une énorme quantité de travail et une organisation millimétrée, et qu’un véritable magicien se doit également de posséder des compétences allant bien au-delà de la manipulation de cartes.

Magicien depuis l’adolescence, auteur du livre référence « Close-Up, les vrais secrets de la magie » et deux fois finaliste de « La France à un incroyable talent » (le fameux Klek Entos, c’était lui), David Stone le concède : c’est un job à plein temps qui demande d’être aussi entrepreneur et VRP. « Quand tu es magicien, tu es ta propre carte de visite. Quand tu sors dans un restaurant, un bar ou une boîte de nuit, tu as l’occasion de faire ta promo et donc de dénicher de potentiels clients. (…) Le vrai quotidien du magicien, c’est de chercher des galas, c’est-à-dire démarcher et trouver des clients, y compris sur Internet. Mais c’est aussi essentiellement répéter ses tours… et donc un peu pourrir la vie de son entourage car les membres de ta famille te servent de témoins pour avoir des tours propres ! »

magicien

Tours à la carte

Pour autant, le marché de la magie ne se limite pas qu’aux pratiquants du close-up (les tours rapprochés, particulièrement utilisés lors de séminaires d’entreprises, de diners mondains et de mariages), du mentalisme et de la grande illusion. À en croire David, les représentations ne seraient que le sommet visible de l’iceberg, le vrai nerf de la guerre étant la conception et la transmission de tours. Et on peut lui faire confiance, ce dernier étant un créateur réputé en la matière. « En marge des magiciens classiques qui font des spectacles, il y a les magiciens consultants, qui sont plus rares et travaillent pour la télévision et le cinéma afin d’améliorer telle ou telle partie du spectacle d’un autre magicien par exemple. Mais il y a surtout des magiciens conférenciers dont le métier consiste à vendre des tours de magie de par le monde, en parcourant les très nombreux clubs de magie de la planète. Rien qu’en France, il doit bien y avoir près de 250 clubs de magie. Aux États-Unis, il y en a près de 500 par État : le marché est énorme. La création de tours a longtemps été ma principale source de revenus. Pendant une dizaine d’années, c’est ce que je faisais, voyageant à travers 19 pays pour présenter les tours que je créais et les revendre. »

Quand ils trouvent preneur chez des grossistes, les tours créés par David et ses homologues peuvent alors être commercialisés dans des boutiques spécialisées attirant à la fois curieux, amateurs et professionnels. À Paris, celle qui se nomme Magic Dream a pignon sur rue.  Derrière son comptoir, on peut notamment y croiser Alexis De La Fuente, magicien et mentaliste en Ile-de-FranceLui-même magicien professionnel et animateur de la plus grosse communauté magique francophone sur Internet (via notamment sa chaîne YouTube), le vendeur dessine les contours d’un business de niche où le client n’est pas l’unique roi :

« Chaque mois sortent des produits, comme des gimmicks, c’est-à-dire des accessoires pour réaliser des tours, ou des supports matériels – des DVD – et immatériels – des VOD, du streaming – pour apprendre des tours chez soi, avec juste un jeu de cartes ou quelques pièces de monnaie. Ce qui est intéressant dans le monde de la magie, c’est que tu ne sais pas ce que tu achètes réellement : tu sais que tu vas pouvoir faire l’effet, mais pas comment, car c’est un milieu où la notion de secret est extrêmement importante. C’est un accord tacite entre le vendeur et l’acheteur : « cela va te permettre de faire cela, mais je ne vais pas te dire comment ça marche ». Et cela peut parfois amener à des surprises, car l’effet va très bien marcher dans un cadre particulier, mais pas forcément à la façon dont tu travailles. » Habitué à décortiquer et critiquer les nouveautés, Alexis aime justement cette « quête du truc » qui fait le charme de la magie et semble lier tous les passionnés de la discipline. « Tu peux acheter des tours quand tu es professionnel, bien sûr, mais la majorité des acheteurs sont des magiciens amateurs, qui achètent pour le plaisir et tenter de comprendre comment fonctionnent les tours, bien plus que pour les reproduire ensuite lors d’événements. Les gens achètent d’abord pour savoir comment ça marche. (…) La magie, au fond, c’est un marché d’adultes qui sont restés enfants : ils ont besoin de leurs jouets ! »

Savoir attendre son tour

Pour devenir professionnels, les magiciens nourrissent donc d’abord leur passion en fréquentant les clubs de magie et en suivant les conseils prodigués dans de nombreux guides gratuits ou payants disponibles sur de multiples supports, y compris sur YouTube sous la forme de tutoriels. Ils peuvent aussi suivre les cours de l’école Double Fond à Paris (voir encadré), seule formation de France (et au monde) permettant d’obtenir un titre de magicien reconnu. Toutefois, rien ne dépassera jamais la pratique et l’expérience pour franchir un cap et faire siennes les ficelles du métier. « La magie est le seul art scénique qui fait appel aux spectateurs, rappelle à juste titre David. Or, ce paramètre n’est pas maîtrisable car on ne peut pas devenir la réaction de la personne en face e soi. Il faut donc l’anticiper et calculer son timing ! »

 

Et pour parvenir à en vivre, ceux qui sont souvent autoentrepreneurs et/ou intermittents du spectacle doivent s’armer de patience, notamment sur le marché de la création de tours. « Ce marché n’est pas vraiment codifié, rappelle Alexis. Il suffit d’une bande annonce, d’un packaging et d’un tour concret, d’un gimmick, et tu peux devenir créateur, mais ce n’est pas forcément viable financièrement, car pour vivre sur ce marché qui se renouvèle très vite, il faut être en mesure d’en sortir régulièrement de nouveaux. Tout le monde ne peut pas être Mickaël Chatelain, l’un des plus gros créateurs français, qui sort en général un nouveau tour par mois ! » Quant aux représentations, avant de connaître les bienfaits des cachets liés à une médiatisation télévisuelle et suivre ainsi les traces des Gérard Majax, Sylvain Mirouf, Messmer et autre Éric Antoine, il convient de savoir faire preuve d’humilité. « J’ai travaillé pendant des années au pourboire, confie David Stone. C’est difficile de tendre la main et mettre son ego de côté, surtout quand tu as déjà gagné des championnats de France ou du monde comme moi à l’époque. Mais c’est aussi une école très intéressante : cela t’oblige à te remettre en question à chaque fois que tu arrives à une table car tu ne précises jamais que tu travailles au pourboire. C’est aux gens de comprendre qu’ils peuvent te donner quelque chose à la fin. Ce n’est pas facile, mais ça te permet aussi de rencontrer énormément de personnes différentes ! Quand je faisais une centaine de tables sur quatre jours, il faut imaginer le nombre de cartes de visite que je récupérais ! »


Double Fond, à fond la formation

Créé par Dominique Duvivier en 1988 et situé dans le 4e arrondissement de Paris, Double Fond est un café-théâtre de magie connu des amateurs du genre, mais depuis 2019, le lieu abrite également la seule école de magie délivrant un diplôme bac+2 reconnu par l’État. Dirigée par Alexandra Duvivier, fille du fondateur, la formation Double Fond permet d’explorer la magie sous toutes ses coutures (close-up, magie pour enfants, mentalisme…) et surtout d’acquérir toutes les notions utiles à l’exercice du métier (vocabulaire, travail de présentation, études des prix du marché, art de se vendre et de communiquer sur ses activités…) avant de s’achever avec un examen. On y retrouve des jeunes cherchant à devenir professionnels comme des magiciens plus âgés souhaitant renforcer leurs acquis ou encore des cirquassiens en reconversion. Le tarif de la formation complète délivré par le « Poudlard du Marais » est de 17 820 euros et représente 550 heures réparties sur une année. Reste que l’école nécessite aussi un fort investissement de la part de ses élèves, avec 2 000 à 3 000 heures de travail personnel à fournir en sus. Et oui, devenir magicien, c’est aussi apprendre à faire disparaître son temps libre !


Les concours, un passage obligé pour échapper aux Moldus

Pour un jeune magicien professionnel, participer à des concours est essentiel : c’est à travers ce biais qu’il se faire une idée plus précise de ses capacités, surtout s’il n’a pas l’habitude de fréquenter de clubs de magie ni la possibilité de se confronter à d’autres magiciens. « Être uniquement entouré de profanes, ça n’aide pas à bien jauger son niveau, estime David Stone. Un concours, ça permet de mieux juger sa technique, bien sûr, mais aussi la création, l’âme insufflée dans le tour… » Un avis partagé par Alexis De La Fuente. « Il y a deux prismes, celui des magiciens et celui des « Moldus ». Tu peux avoir un niveau médiocre pour des magiciens, parce que tout ce que tu fais, ils l’ont déjà vu, mais avoir un niveau très impressionnant pour des néophytes. Quand tu fais de la magie pour des magiciens, tu as une logique de réflexion différente. Ton niveau s’adapte au niveau du public. » Une façon de rappeler que la magie se retrouve avant tout dans le regard des spectateurs. « Quand tu arrives à perturber, c’est génial, rajoute Stone. Tu remets en question ce que la personne sait, tu fais vivre un moment d’interrogation… C’est là que c’est magique ! Peu importe le secret ou les astuces employées, l’important est d’atteindre cet instant précis. »

S'abonner au podcast