C'est pas un métier

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Sténotypie
Découvrez le métier de…

Sténotypiste, avec Julien Lebon et Salomé Gérard

L’idée de devoir assister à une réunion de plusieurs heures vous donne des sueurs froides ? Il existe toutefois une petite communauté à qui cela ne fait pas peur (c’est même tout l’inverse) : les sténotypistes. Et pour les différencier du reste de la population, rien de plus simple car ces humanoïdes à la dextérité remarquable ne se déplacent jamais sans un clavier atypique sur lequel ils sont capables de retranscrire 200 mots minimum par minute. De véritables machines… à écrire !

Capturer en direct la parole d’une personne à l’écrit n’est pas une mince affaire, surtout quand le niveau de précision de la retranscription demandé est très élevé. Tandis que le commun des mortels parvient péniblement à taper 40 mots par minute sur un clavier Azerty, les sténotypistes vont, eux, réussir à saisir n’importe quel discours en atteignant les 200 à 240 mots par minute, soit la norme nécessaire pour capter à l’écrit la vitesse de la parole (à l’exception peut-être du cas de Busta Rhymes sur le légendaire Break Ya Neck). Cette prouesse, ces « scribes 2.0 » la doivent à un savoir-faire extrêmement technique, acquis en France entre les murs de l’unique école du genre : la Sténotypiste Grandjean, du nom de Marc Grandjean, inventeur en 1923 du clavier et de la méthode associée permettant de suivre à la trace (et à la frappe) chaque palabre prononcée.


L’art du touché verbal

Composé de 21 touches, façonné en « V » et basé sur la phonétique, le clavier du « sténo », appelé sténotype, permet l’écriture condensée. « Chaque touche équivaut à un son, explique Julien Lebon, sténotypiste diplômé depuis 2009. Par exemple, du côté de la main gauche, nous avons des sons du style « Peu », « Meu », « Beu »… et sur la main droite, des « A », « I », « É »… Le but est de combiner les sons et donc les touches pour former les mots. » Auparavant, le résultat de cette écriture frénétique demandait dans un second temps un travail fastidieux de décodage manuel. Ce n’est plus le cas depuis une dizaine d’années grâce à l’informatique. « Ce métier a évolué et le cliché de la sténo qui tape sur sa vieille machine avec la bande papier qui déroulait, cela n’existe plus, confie Salomé Gérard, pro de la frappe depuis 2016. Désormais, nous avons ce qu’on appelle une « TAO » pour « Transcription assistée par ordinateur » : notre clavier est connecté directement à notre ordinateur sur lequel est ouvert un logiciel dédié à la sténotypie utilisant l’intelligence artificielle. Il décode en français lisible ce que l’on tape. » Évidemment, le sténotypiste doit se montrer vigilant car, bien que malins, les logiciels ne sont pas encore infaillibles. « C’est normal car la langue française est truffée de petits pièges et d’homonymes, s’en amuse Salomé. Surtout, les gens aiment faire de très longues phrases ! Plus les phrases sont courtes et plus c’est facile pour le logiciel de décoder le texte. Dès qu’une phrase fait 3-4 lignes, même avec des virgules bien placées, cela devient tout de suite plus compliqué pour lui d’assimiler les subtilités du français – le mot est-il accordé en genre, en nombre, oui ou non, etc. »


Au doigt et à l’heure

Mettre la main sur un clavier estampillé Grandjean et un bon logiciel de TAO a un coût : la machine, fabriquée aux États-Unis, revient à 5 000 dollars environ, tandis qu’une licence logicielle s’achète autour des 4 000 dollars. Mais avant-même de dépenser ces sommes, les aspirants à la maîtrise de la sténotypie doivent d’abord passer par la formation officielle de l’école Grandjean, basée dans le 17e arrondissement de Paris. Une étape obligatoire de trois ans minimum, qui demande un haut degré d’exigence et d’abnégation. « La formation est à mi-temps, avec quatre heures de cours par jour – trois heures de sténotypie, une heure de culture générale, de français, de dactylographie, mais aussi de droit ou de gestion car, comme ce métier est principalement exercé en libéral, les élèves sont généralement amenés à créer leur propre entreprise, raconte Julien.  Pour les cours de sténotypie, les premiers temps vont essentiellement consister à apprendre la méthode. Dès la première journée, on est déjà capable de pouvoir lire une bande de sténo en s’aidant des touches. Puis au fur et à mesure, on apprend les touches et on utilise le clavier jusqu’à le connaître par cœur, afin que taper de façon mécanique devienne un réflexe. » À l’issue de la première année, les élèves studieux atteignent les 120 mots/minute. La deuxième année, c’est 170/180 mots. Enfin, à la fin de la troisième et dernière année, ils doivent être en mesure de gérer les 200 mots. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils peuvent obtenir le diplôme de sténotypiste de conférences, le seul reconnu par l’État. S’ils n’arrivent pas à atteindre ce quota, ils devront « retaper » une année, voire plus – ce qui est le comble pour un sténo. D’ailleurs, on compte seulement deux diplômés par an en moyenne. « Il faut être acharné pour réussir : il y a des paliers à franchir et cela peut parfois prendre du temps, insiste Salomé. J’ai vraiment eu l’impression de réapprendre à lire et à écrire. C’est quasiment de l’ordre de l’entraînement sportif. La meilleure sténo que j’ai pu connaitre, elle avait validé 250 mots par minute. C’était incroyable ! »


Pas prêts d’être sur la touche

Après l’école, les sténotypistes ne se tournent pas les pouces. Discours, conférences, grosses réunions, procès de la cour pénale internationale, assemblées générales, conseils de mairie ou régionaux… nombreuses sont les occasions pour ces maestros de la prise de note de briller, d’autant qu’ils sont moins de 200 à exercer en France. « Comme ces grosses institutions ont besoin de diffuser de l’information très rapidement, ils ont besoin d’écrit et de nous, estime Julien. Nous représentons aussi la neutralité, en étant un personnage extérieur, capable de retranscrire précisément ce qui s’est dit, sans être du côté de la direction ou du salarié par exemple. » Très actifs également durant la pandémie de Covid-19 (la réunionite n’a pas été chamboulée par le télétravail), Julien comme Salomé n’ont clairement pas à s’inquiéter pour leur activité. Leur talent et leur rigueur les rendent indispensables, tout comme l’absence de concurrence : dans le milieu de la sténotypie, on ne craint pas un éventuel « grand remplacement » technologique. « Il y a aussi une intelligence de la frappe, ajoute Salomé. On ne va pas systématiquement tout « prendre », sauf si c’est dans le cas d’un procès où tout doit figurer in extenso sur le procès-verbal. En général, pour une entreprise ou une réunion, les personnes veulent avant tout retrouver la substance de ce qu’ils ont pu dire. Je sabre les répétitions, les « euh », les onomatopées, quand la personne bafouille ou se reprend, etc. » Julien acquiesce : « La technologie de reconnaissance vocale via l’intelligence artificielle n’est pas assez performante aujourd’hui pour nous remplacer, surtout quand il y a plusieurs interlocuteurs qu’il faut aussi reconnaitre, sans parler des jargons propres à certaines entreprises. Selon moi, il ne faut pas avoir peut de la technologie : vers l’avenir, on ira sûrement davantage vers un mix entre la sténotypie et la reconnaissance vocale, pour faciliter l’écriture, notamment des homonymes. » Dans vos faces, Siri et Alexa !


Pour en savoir plus :

  • Pour devenir sténotypiste de conférence, il vaut mieux se renseigner auprès de l’école Grandjean, accessible directement après le Bac et qui, chaque année, reçoit aussi des personnes souhaitant se reconvertir. L’Institut Grandjean permet aussi de découvrir la sténotypie sur des sessions découvertes plus courtes. Plus d’informations sur son site Internet.
  • Si vous souhaitez faire appel à un sténotypiste pour un conseil d’administration, comptez au minimum 300 euros de l’heure.
  • Pour trouver votre futur sténo diplômé et fiable, n’hésitez pas à passer par l’AFSC, l’association française des sténotypistes de conférences.


Quelques trivias :

  • Aux États-Unis, les court reporters, l’équivalent des greffiers français, sont des sténotypistes ayant suivi une formation juridique plus poussée.
  • Il existe un championnat international de vitesse de frappe au clavier, l’Intersteno, qui se déroule tous les deux ans dans une ville différente. L’édition 2022 prendra place à Maastricht.
  • Entre la très connue dactylographie et la sténotypie, on trouve la vélotypie. Ce « cousin » du sténo possède lui aussi un clavier particulier (le Velotype) muni d’un peu plus de touches, mais sa vitesse de frappe est moins importante, avec « seulement » 170-180 mots par minute. Très peu nombreux, les vélotypistes se retrouvent souvent derrière les sous-titres réalisés lors d’un direct télévisé. Et pour le devenir, il n’y a pas de formation officielle ni de diplôme certifié actuellement.


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