C'est pas un métier

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selle de cheval
Découvrez le métier de…

Sellier harnacheur, avec Charly Palmieri

Quand on aime le souci du détail, le respect des traditions, la passion du savoir-faire et la quête du geste parfait, on a les qualités requises pour se lancer dans l’artisanat. Et si, en plus, l’odeur du cuir et l’élégance des canassons ne nous laissent pas insensible, alors on a clairement le potentiel pour se tourner vers un métier de niche : celui de sellier harnacheur.


Dans la famille sellier (à ne pas confondre avec le film faisant de Louane une excellente interprète du langage des signes), on retrouve les selliers maroquiniers, qui conçoivent les sacs, portefeuilles et ceintures, les selliers garnisseurs, qui s’occupent des intérieurs de voiture ou des sièges de moto, et donc les selliers harnacheurs. Ces derniers œuvrent sur tous les accessoires liés à l’équitation – les selles, les brides, les arceaux… – à travers de nombreuses techniques précises, entre travail du cuir et types de couture (dont le fameux point sellier, justement). Leur objectif ? « Résoudre l’équation entre le bien-être du cheval et le confort du cavalier », explique Charly Palmieri, qui fait justement partie de « la crème de la selle ». Artisan sellier depuis 10 ans au sein du prestigieux atelier Hermès et détenteur du titre de Meilleur Ouvrier de France (MOF) dans sa discipline en 2019, ce trentenaire talentueux se la joue pourtant modeste. « Je suis encore très loin d’avoir tout appris, poursuit celui qui a commencé par un Bac d’économie avant d’aller vraiment dans le cuir via un premier CAP, puis un Bac Pro en maroquinerie et enfin un autre CAP de sellier harnacheur. En sellerie, il y a un tas de techniques très différentes, comme des techniques américaines qui nécessitent encore d’autres savoir-faire… J’ai envie de découvrir ça, de rencontrer d’autres personnes passionnées, d’échanger et de transmettre à mon tour mes connaissances. Le partage dans ce métier, c’est important. »


Le MOF, une sorte de menu best-of 

D’ailleurs, même si ce titre de MOF est une fierté pour le professionnel, ce n’est pas non plus une finalité et encore moins un sésame lui donnant droit à se proclamer supérieur aux quelques 120 autres selliers harnacheurs de France. Tenter ce concours, c’était surtout l’occasion pour lui de réaliser un rêve et de faire le point sur ses propres compétences : « J’avais envie de me tester, de voir où j’en étais dans mon métier et de pouvoir ensuite aller plus loin, dans mes recherches autour de mon travail. D’ailleurs, on appelle ça un concours, mais ce n’est pas une compétition : c’est surtout un diplôme, en fait, car on peut être plusieurs meilleurs ouvriers de France dans la même catégorie sur une année. Bon, il se trouve que j’ai été le seul cette année-là à le devenir… » Reste que le travail et l’investissement fournis pour atteindre ce niveau d’excellence ont de quoi impressionner le tout-venant. « Le concours se déroule tous les quatre ans et dure deux ans – la première année, on s’entraîne pour passer ensuite les qualifications devant un jury, avec une pièce à réaliser sur une journée complète, précise Charly. La deuxième année, on a cette fois une pièce à réaliser, une sorte de chef d’œuvre, que l’on présente au même jury en fin d’année. On doit fournir un dossier complet – cahier des charges, gamme préparatoire… – qui explique le process de fabrication de l’œuvre. Je devais réaliser un ensemble complet – une selle, une bride, une sangle, des étrivières… J’ai donc choisir de partir sur un ensemble de dressage, soit ce qui, pour moi, nécessite le plus de précision dans l’exécution du travail : la selle doit être parfaite pour un dresseur qui va rester dessus pendant des heures et des heures. »


Entre tradition et innovation

Pour son chef d’œuvre, l’artisan a employé toutes ses compétences, fait parler toute sa technique. « Pour la selle par exemple, j’ai cherché à utiliser des coutures un peu anciennes, qu’on ne voit pratiquement plus aujourd’hui, et d’autres plus récentes, comme le cousu rond, où l’on vient encastrer le fil dans une incision en forme de cylindre, que l’on referme ensuite, rendant la couture complétement invisible et protégeant la couture comme le cheval du frottement. C’était un vrai mélange de traditions et d’innovations. »


Car même si les métiers de l’artisanat s’inscrivent dans le respect d’un certain nombre de conventions (« Ce qu’on demande à un artisan, c’est de parler le même langage que nous et d’avoir la maîtrise des gestes traditionnel »), le sellier n’est pas hermétique au changement. Pour Charly, il est même voué à vivre avec son temps et à incorporer de nouveaux matériaux à l’avenir, comme du liège ou des tissus végétaux, pour ne pas manquer le coche de la mode vegan par exemple. « Cela touche déjà certaines fabriques de maroquinerie. Toutefois, dans une maison de tradition comme Hermès, les selles que je réalise vont pour l’instant rester en cuir avec des arceaux en bois – ce sont d’ailleurs ces selles qui sont toujours utilisées pour les carrés de dressage et les pistes de saut d’obstacle lors des Jeux Olympiques.  Mais peut-être que les selles évolueront aussi dans le futur avec de nouveaux matériaux, même si, pour le moment, nous n’avons pas encore trouvé le matériau idéal. Le carbone, censé être plus léger, présente d’autres contraintes par exemple. D’autres tissus ne vieillissent pas aussi bien que le cuir et ne sont pas assez « nobles » non plus. » Parole de « selle-made man » !


Comment se mettre en selle

Qu’on se le dise, il n’y a pas d’âge pour se lancer dans la sellerie. Il suffit d’ailleurs de faire un tour dans l’atelier Hermès pour y retrouver des personnes en reconversion qui, après avoir exercé un premier métier durant plusieurs années, décident à 40 ans de tout quitter pour travailler dans le cuir.  Dans tous les cas, que vous soyez jeunes ou moins jeunes, les formations à suivre sont nombreuses, avec des CAP et Bac Pro proposés dans de nombreuses villes de France, que ce soit en sellerie générale ou en sellerie spécialisée. Rien qu’à Paris se trouvent le Lycée professionnel public Turquetil, La Fabrique ou le CFA des Compagnons du Devoir et du Tour de France (AOCDTF, à Pantin), pour ne citer qu’eux. Enfin, si vous êtes vraiment prêt à chevaucher une formation pour devenir sellier harnacheur, les deux établissements les plus réputés sont à ce jour le Lycée professionnel agricole (LPA) de Mirande et le Pôle de formation IFCE – Haras National du Pin. Ce dernier a notamment accueilli Charly Palmieri !


Un métier qui ne manque pas de sel(le)

Si une selle Hermès, obligatoirement réalisée sur-mesure par un unique artisan durant 25 à 35 h de travail, coûte entre 6 000 et 7 000 euros, le salaire d’un sellier harnacheur en début de carrière n’est pas du même tonneau. Et comme pour beaucoup de métiers de l’artisanat, à la sortie du CAP, le sellier va commencer très souvent au SMIC, voire un petit peu plus. Puis il verra sa paie évoluer au fur et à mesure de sa carrière dans sa « maison ». Il pourra aussi vouloir, à terme, se lancer en freelance. Par contre, le jeune artisan peut se rassurer : tous les selliers qui sont formés chaque année trouvent du travail. Et il n’aura pas besoin d’aller cravacher à l’autre bout du monde pour officier : en France, en plus de Hermès, il y a beaucoup d’autres selleries renommées !

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