Depuis l’émergence des réseaux sociaux, on connaît la chanson : n’importe qui peut se procurer une guitare sèche ou télécharger un logiciel de MAO pour commencer à faire de la musique dans son coin et même espérer rencontrer le succès. Mais pour devenir musicien professionnel, c’est une autre paire de manches. Voire de baguettes.
Langage universel par excellence, la musique nous entoure et nous accompagne à chaque instant, des publicités télé à notre abonnement Deezer en passant par les innombrables festivals. C’est dans cette profusion immense qu’évoluent les musiciens professionnels. Sur scène ou dans l’ombre d’un studio, à la manœuvre dans un orchestre classique ou survoltés dans une formation plus électrique ou abrasive, les « pro » sont partout où il faut faire parler avec talent un instrument.
Cours particuliers, sous-sol et conservatoire
Pour Manu Katché, qui cumule à lui seul les statuts d’auteur, compositeur, parolier, producteur et interprète, tout commence à l’âge de 7 ans, devant un clavier. Le début d’un long apprentissage somme toute logique lorsqu’on parle d’art. « J’ai commencé par faire du piano avec un professeur particulier, puis à l’âge de 14 ans, j’ai suivi un système assez classique, mais plus trop en vogue aujourd’hui en France même si vraiment accessible à toutes les bourses : le conservatoire régional, pour des études en percussions classiques. On y commence en tant que débutant, puis via un examen de fin d’année, on passe à un niveau supérieur. »
En parallèle, le jeune Manu profite aussi du sous-sol de ses grands-parents pour s’acoquiner en autodidacte avec ce qui deviendra son instrument fétiche : la batterie. « Mon beau-père m’avait offert une petite batterie jazzette. Je branchais un casque sur sa chaîne hi-fi pour jouer sur tous les groupes des années 1970 que j’écoutais à l’époque. » Autant dire que, très vite, la musique va accaparer une bonne partie de son temps libre.
Au conservatoire de Saint-Maur (94), Manu Katché « apprend le solfège, à lire la musique » et se familiarise avec tout l’attirail d’un percussionniste classique, comprenez timbales, piccolo, calebasses en cuivre, xylophone, vibraphone, marimba, tricoti et autres réjouissances. Mais le jeune élève fait aussi de la chorale (« ce qui est important juste pour gérer la voix, la justesse et l’oreille interne »), et suit des cours d’orchestre (« pour jouer plusieurs œuvres classiques une fois par semaine en tant qu’instrumentiste »). Un programme prenant et assez complet qui va l’occuper le soir, le mercredi après-midi et le week-end, avant de prendre rapidement encore plus de place dans sa vie.
« Comme j’aimais beaucoup cela, cela a commencé à prendre un peu le pas sur mes études : quand j’étais en première au lycée, même si j’avais un an d’avance, en fait, je séchais les cours et passais tout mon temps au conservatoire, à travailler mon instrument sept heures par jour, à répéter. Je voulais alors vraiment devenir musicien classique même si, au lycée, j’avais aussi déjà un petit groupe dans lequel je jouais – très mal – de la batterie, pour reprendre les Rolling Stones, les Beatles, comme tous les mômes. »
Ce sont cette passion débordante et cette capacité de travail qui vont logiquement le pousser à passer l’étape supérieure en concourant au prestigieux Conservatoire national de Paris.
Une décision qu’il n’a pas prise seul. « Je ne savais pas encore que j’en ferai un métier, mais j’adorais ça et ça me faisait un bien fou, confie l’ex-animateur de l’émission One Shot Not. J’en ai parlé à mes parents qui sont allés voir mon prof, celui qui m’a tout appris, pour lui demander si ce n’était pas un peu trop risqué d’arrêter les études pour ne faire que de la musique. Comme il pensait que j’avais un truc, il les a rassurés. »
Deux façons d’apprendre
Plus que jamais mordu de musique, il y cultive et améliore ses talents aux percussions, mais pas seulement. Il y poursuit également sa pratique du piano, via « la classe d’adulte », pour apprendre l’harmonie et « étudier toute la musique classique connue et archivée » afin de pouvoir concrètement « lire la musique » et espérer être capable à son tour de l’écrire. À la sortie, auréolé d’un prix du conservatoire, Manu Katché peut alors très bien pu débuter officiellement une carrière de musicien professionnel en obtenant « une place de percussionniste classique dans n’importe quel orchestre symphonique du monde entier ». Sauf qu’entre-temps, c’est vers une autre voie que Manu a choisi de se diriger tambour battant. La faute au rock, au jazz et à la batterie qui l’obnubilaient de plus en plus en parallèle de ses études classiques. « Je ne me suis pas posé la question comme ça. J’avais un diplôme en poche et m’étais juste dit que j’avais maintenant envie d’essayer la batterie qui me plaisait bien. On était dans les années 1970, une époque où il y avait beaucoup de jeunes musiciens et beaucoup de propositions. »
En effet, contrairement à ceux du monde « plus académique », les « autres » musiciens professionnels apprennent leur métier aussi d’une autre façon, en multipliant les expériences et les connexions. Car en plus de travailler son instrument quotidiennement, un bon musicien pro doit avant tout s’avoir tisser son réseau. Pour Katché, cela passera par la fréquentation « des petits studios d’enregistrement » pour jouer de tout, notamment des musiques destinées à la publicité. « Ça ne payait pas beaucoup, mais ça permettait de s’exercer. » À côté, l’aspirant batteur arpente les clubs de jazz, tape des bœufs (ou des jam sessions pour les anglophones) et rejoint des groupes dès qu’une occasion se présente. Petit à petit, il commence à s’en sortir, faisant rentrer un peu d’argent, jusqu’à faire des rencontres déterminantes, du genre de celles qui vous lancent définitivement dans le grand bain et dans le métier. « À force d’insister, on finit par évoluer et devenir autonome, mais ça prend un petit moment. (…) J’ai alors rencontré, de par mon réseau, de jeunes chanteurs français, avec qui j’ai commencé à travailler sur des albums, puis en tournée. À ce moment-là, on est dans les années 1980 et je commençais à réellement vivre de la batterie. D’un chanteur à un autre, ça devenait de plus en plus important. Et puis, en 1987, je rencontre Peter Gabriel… » Depuis cette date, Manu Katché travaillera essentiellement à l’étranger, l’occasion de réaliser « plusieurs fois le tour de la planète ».
S’affirmer en leader
Mais un musicien professionnel peut aussi avoir envie d’attirer un peu plus la lumière. « Je voulais être leader à mon tour, et pour cela, il fallait que je me mette complétement à nu. Il fallait oser proposer des maquettes de ma propre musique que je continuais à composer au piano depuis de nombreuses années. » En 2004, il décide de sauter le pas grâce à Jan Garbarek, saxophoniste signé sur le célèbre label munichois ECM (l’équivalent de Blue Note aux USA). « Il apprécie mes maquettes et on décide de produire l’album avec d’autres musiciens en intégrant directement l’écurie ECM, ce qui me flatte énormément ! » Tout en continuant « à être side man, ou accompagnateur », y compris parfois pour « des mômes de 25 ans » qui le contacte à l’audace, le batteur devenu leader a signé une dizaine d’albums en son nom depuis (dont le dernier en date, The Scope, sorti 2019).
Pour être une cigale, il faut travailler comme une fourmi
Pour donner l’impression d’être à l’aise sur scène, le musicien professionnel ne doit pas compter ses heures. D’ailleurs, il commence très souvent son parcours d’apprentissage durant l’enfance (« le strict minimum, c’est deux heures de travail sur l’instrument par jour, même si l’enfant est hyper doué ») et doit en permanence s’ouvrir aux nouvelles tendances pour rester à la page dans un monde de la musique particulièrement mouvant. Un bon exemple, c’est l’usage des technologies : il faut être également capable à la fois de pouvoir s’adapter à l’époque des home studios (où le partage de fichiers remplace parfois les sessions collectives d’enregistrement) et de savoir intégrer à son jeu l’usage de machines si nécessaire. Pour les batteurs, Manu Katché conseille par exemple d’observer comment la star montante Anderson Paak réussit à trouver sa place en couplant son jeu à la batterie à une machine déployant en même temps un groove hip-hop. L’adaptation fait partie de son quotidien.
Les bulletins de notes
Si le passage au conservatoire est très conseillé (d’abord communale, puis départemental et potentiellement national, ce dernier pouvant désormais également déboucher sur des mastères et doctorats en lien avec des universités) pour apprendre à devenir musicien, des alternatives existent. Outre les cours particuliers et les très nombreuses Maisons des jeunes et de la culture (MJC) émaillées sur le territoire, on peut également trouver de plus en plus d’établissements privés, généralement sur des formations en bac+3, à l’image du Centre des Musiques Didier Lockwood (CMDL), situé à Dammarie-les-Lys et dédié au jazz et aux musiques improvisées, ou la Music Academy International de Nancy. Ces formations peuvent également vous former sur d’autres métiers de la musique et du son (technicien, tourneur, manager) et vous apporter d’autres briques nécessaires à la gestion d’une carrière (marketing, usage des réseaux sociaux, fiscalité…). Il est donc conseiller de se renseigner au préalable sur les programmes proposés et, si possible, de sonder des anciens élèves.