C'est pas un métier

C'est pas un métier

Laurine Pascual
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Commercial, avec Laurine Pascual

Les aprioris étant tenaces, on a tous tendance à projeter sur le « commercial » l’image d’une personne au sourire ultra-bright capable de vous vendre du sable en plein désert. Et bien, détrompez vous : même si la « tchatche » reste essentielle pour les métiers de la vente, la réalité est tout autre.

Vous admirez le bagout du personnage de Stan dans la saga « Monkey Island » ? « Les portes de la gloire » est votre film de chevet ? Peut-être alors nourrissez-vous une appétence pour la vente. Une prédisposition qui, à en croire Laurine Pascual, serait finalement assez rare : « Je serais surprise d’apprendre qu’une personne s’est déjà levée un matin en se disant « j’ai super envie de vendre quelque chose à quelqu’un » ! » La vente, la head of marketing chez GrandVision NV (qui possède notamment les marques Grand Optical, Solaris et Générale d’Optique) en a justement fait son commerce en multipliant les expériences en agences. Une manière pour elle de cultiver son amour du storytelling : « Moi, j’adore raconter des histoires, découvrir comment on les raconte et qu’on m’en raconte ! Et j’aime bien convaincre aussi ! »

 

Commerce et conviction

Dans un monde où le libre-échange est roi et l’art de la vente omniprésent, on pourrait s’attendre à ce que le « commercial » soit aussi apprécié que son rôle est indispensable à l’économie. Malheureusement, ce n’est pas vraiment le cas. « Commercial, c’est un terme assez vague, générique et, malheureusement, très souvent associé çà quelque chose de péjoratif, déplore la professionnelle. On le rattache à quelqu’un de manipulateur, un peu arnaqueur, qui a un but précis en tête, celui de vendre à tout prix son histoire, son produit. » Une anomalie quand on connaît l’envers du décor. En effet, à mille lieux du concessionnaire malhonnête tiré d’une mauvaise série B et de l’employé de call center qui va passer une centaine d’appels par jour en suivant à la lettre un script sensé « transformer » l’essai, on trouve dans ce domaine des femmes et des hommes dont la principale qualité est avant tout l’écoute. « Il faut aimer la communication et surtout communiquer avec l’autre, établir un lien, ouvrir une discussion : on ne peut jamais vendre seul, analyse Laurine Pascual. Ce n’est pas forcément évident, notamment en début de carrière. Il faut travailler son niveau de confiance en soi sans que cette dernière ne devienne trop importante, pour ne pas devenir ce cliché du vendeur qui sait toujours tout, mieux que tout le monde. » Et pour assurer dans la relation client, d’autres qualités sont de mise, comme la capacité à se remettre en question (« il faut savoir douter de soi, même quand on réussit ») et le fait d’être structuré (« être brouillon n’aide pas à définir un produit, un service et à ensuite l’expliquer : il faut maîtriser son discours »). Sans cela, pas de conviction et donc pas de transaction !

 

L’autre « bottle challenge »

Pour se distinguer, le « vendeur » doit aussi pouvoir s’adapter à différents environnements, surtout lorsqu’il démarre dans la profession et doit faire ses preuves. C’est ce qu’a appris Laurine lors de ses premières années, démarrant au poste de cheffe de pub en agence après avoir bouclé son Master en Commerce International à Sciences Po. « Dans la pub, on est toujours chef, même quand on a 22 ans, se marre-t-elle. Mais chef de pub, c’est être d’abord chef de soi parce qu’un jeune diplômé ne manage évidemment personne à son entrée en agence. Son rôle est d’assister le chef de groupe au-dessus et le directeur de clientèle encore un niveau plus haut. Il fait un peu le pivot, à la fois en lien avec le client qui vient acheter une stratégie, un concept, une campagne, et avec les équipes en charge de développer ces produits – les équipes de planning, de création… Il faut comprendre les besoins, les interpréter et les traduire pour ensuite les passer aux équipes afin qu’elles puissent y répondre. » Une époque qui l’aura vu bosser sur des marques de service, comme une célèbre compagnie aérienne, mais aussi des produits de tous les jours, comme des pastilles de lave-vaisselle ou des paquets de lessive. Pas forcément les items les plus sexy, mais pas les moins stimulants. « Comment vendre une bouteille d’eau ? Comment faire pour différencier votre produit de celui d’à-côté ? C’est un vrai challenge, parfois très difficile ! »

 

Regarder l’existant pour mieux le marketer

Le challenge est permanent dans le job. Pauline se souvient d’ailleurs d’une mission particulièrement prenante pour une jeune marque proposant sur Internet une offre de vêtements sur-mesure. On est alors en 2011, une époque où l’e-commerce n’est pas encore devenu ce monstre hydrocéphale symbolisé par le crâne luisant d’un Jeff Bezos. « La fondatrice voulait qu’on l’aide à ce que ses clients comprennent bien l’offre. Et comme toujours, on regarde d’abord l’existant. Comme elle avait commencé il y a quelques mois, on s’est donc intéressé aux premiers retours. Les clients étaient très satisfaits de la qualité des produits – on était sur des pulls en cachemire, des chemises en soi, de belles matières et couleurs, – mais on s’est rendu compte d’un énorme souci : le délai. La personne qui avait fait la commande oubliait très souvent ensuite avoir fait cet achat. Elle ne s’en souvenait qu’en recevant le produit, ce qui faisait une petite surprise dans sa boite aux lettres quatre semaines plus tard – une éternité quand on achète un vêtement, même si le sur-mesure prend du temps. Il fallait donc comprendre ça et l’intégrer à un tunnel de consommation, pour réussir à garder cette excitation. Une des premières choses a été de donner une visibilité à ce qu’il se passait après la commande, en montrant au client les différentes étapes de conception de son vêtement, sans que cela soit trop ou pas assez. » Univers de la mode oblige, il fallait aussi réfléchir à l’image du client, à ce que ce vêtement allait lui permettre d’exprimer. « Il s’agit de trouver un positionnement et lier la marque aux tendances du moment – c’était les débuts de l’influence sur Instagram –, en créant aussi une identité graphique, avec un logo et un « ton of voice » (ou champ lexical) adapté. » Une réflexion globale, pour ne rien laisser au hasard, mais surtout une prestation qu’on pourrait aussi jugée sur-mesure. 

 

Beaucoup de business en BtoB ?

Enfin, si l’acheteur lambda connaît très bien la vente pour en être la cible chaque jour, il ne se doute pas de n’être parfois qu’un grain de sable dans le désert (on y revient). En effet, se trouvant au cœur du BtoC (Business to Customer), Monsieur X ou Madame Y ne représentent que 18 % du montant des ventes e-commerce en 2021, le reste étant la chasse gardée du BtoB (Business to business), soit la vente auprès non pas du consommateur final, mais de celui qui fabrique ou commercialise le service/produit. Un univers totalement différent dixit Laurine Pascual qui l’a connu en évoluant dans une agence spécialisée dans le design d’intérieur, chargée de « travailler l’expression de la marque dans un lieu » pour faire en sorte que le consommateur se sente « dans un espace cohérent » au moment de réaliser l’acte d’achat. « La relation est plus longue et se construit sur plusieurs mois, voire plusieurs années, concède-t-elle. Construire une campagne BtoC prend du temps, bien sûr, mais cette campagne est éphémère. Avoir un lieu, c’est quelque chose qui dure. » Associé à des cycles de vente plus longs, le BtoB repose sur des ressorts complexes et nécessite « un vrai temps d’appropriation, pour installer une notion de confiance des deux côtés ». Car oui, on ne débarque pas comme une fleur dans des univers parfois très techniques, comme ceux liés à la commercialisation de logiciels hyper spécialisés, de moteurs d’avion ou de matériel médical. « On a alors affaire à des gens qui sont des experts de la marque, avec une vision très précise de ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent être ! » Tous les commerciaux vous le diront : on ne vend pas la peau de l’ours avant d’avoir visité l’usine qui la fabrique.

 

Écoles de commerce : attention aux trompe-l’œil

Vous l’aurez compris : la vente a beau être indispensable, elle n’en reste pas moins trop souvent (injustement) dévalorisée. C’est peut-être pour cela qu’en France, de très nombreuses écoles de commerce ont, petit à petit, fait le choix de ne plus s’articuler réellement autour d’elle, préférant alors former les étudiants aux joies du marketing et de la gestion. Si vous avez réellement la fibre commerciale et que vous souhaitez rejoindre une école de commerce pour la cultiver, il vous faudra donc privilégier celles qui, en Bachelor ou en Mastère, plébiscitent encore cette dimension via des spécialisations sur les ventes complexes et spécifiques (ventes de produits techniques et digitaux par exemple, comme des solutions, des logiciels). En parallèle, d’autres cursus existent, comme les DUT en Techniques de négociation commerciale et Techniques de commercialisation menant à un bac+3. Enfin, impossible de ne pas mentionner les trois BTS phares recouvrant tous ces domaines de la vente avec un cursus de deux ans en apprentissage : Commerce International, MCO (management commercial opérationnel) et NDRC (négociation et digitalisation de la relation client). Le premier concerne surtout tout ce qui est import/export, tandis que les deux autres se concentrent sur l’aspect BtoB.

 

La prime à l’audace

Se lancer dans la vente, c’est exercer un métier prenant et accepter une rémunération particulière composée d’une part de fixe et d’une part de variable qui se justifie le plus souvent via une commission à la vente ou en rapport avec les résultats d’une équipe ou de l’entreprise/agence. De fait, cette profession ne s’adresse pas aux personnes cherchant d’abord la sécurité du revenu, mais plutôt à celles qui y voient une source de motivation supplémentaire. « On peut généralement bien gagner sa vie avec ces métiers, confirme Laurine Pascual. On peut avoir une approche hyper individualisée – je vends le plus, je gagne le plus – ou plus « solidaire/équipe, ce qui est bien en étant junior. Cela donne envie de progresser, d’apprendre de son métier. » Ainsi, si un chef de pub débutant émerge à un salaire mensuel fixe entre 2 400 et 3 000 euros bruts, il peut tout de même remplir davantage son compte en banque grâce à ses performances.

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