C'est pas un métier

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Thanatopracteur, avec Nicolas Delestre et Claire Boucher

La thanatopraxie n’est pas le nom de la galaxie abritant le nouvel ennemi des Avengers ni la mauvaise prononciation d’une célèbre chanson de Vanessa Paradis, mais le fait de prendre soin une dernière fois de celles et ceux qui viennent de passer à trépas. Mais on aurait tort de réduire les thanatopracteurs à de simples maquilleurs justes bons à photoshoper IRL les défunts.

Hormis quelques rares incursions cinématographiques (le père campé par Dan Akroyd dans « My Girl », la série « Six Feet Under », les films « Departures » et « Le Thanato » ou, dans un autre registre, des extravagances de « La mort vous va si bien), le thanatopracteur n’a que rarement l’occasion d’attirer la lumière sur sa profession auprès du grand public jusqu’au jour fatidique où le destin nous fait recourir à ses services. Et pourtant, son rôle est fondamental pour permettre aux proches et familles de faciliter leur deuil dans les meilleures conditions possibles. Une mission d’importance qui demande d’allier une réelle technicité, des connaissances scientifiques (biologie, anatomie…), une éthique irréprochable ainsi qu’un certain sens de l’esthétisme et de la psychologie pour rendre le corps aussi présentable que reconnaissable, notamment suite à un accident ou une longue maladie. « Toutes les professions qui traitent du corps mort ont systématiquement leur propre définition de la mort, rappelle Nicolas Delestre, président de l’école de thanatopraxie AFITT et spécialiste de l’embaumement. Dans le cas de la thanatopraxie, la mort est une déliquescence des sens autour du cadavre – l’odeur, le toucher et le visuel changent, la parole disparaît… Elle justifie donc son existence par ce besoin d’une reconstruction temporaire et virtuelle de ces sens afin qu’ils soient acceptables pour la famille et le défunt, ce dernier devant être reconnu par les premiers lors de la présentation funéraire. Et pour cela, un ensemble de techniques et de produits sont utilisés. »


Cocori-corps !

Apparue et encadrée dès le 19e siècle, à une époque où le deuil devient un « phénomène de société », la présentation des corps (et les soins qui l’accompagnent) n’a eu de cesse d’évoluer depuis. Et si la thanatopraxie est une affaire sérieuse, avec des règles précises à suivre pour assurer la reconstruction et la restauration au niveau osseux, de la peau ou encore du visage, elle semble l’être encore plus en France qu’ailleurs. « Les thanatopracteurs français sont réputés comme étant les meilleurs au monde de par leurs connaissances poussées en anatomie, explique Nicolas Delestre. En effet, dans les années 1970, la France a été le premier pays à adopter une loi sur la récupération des fluides corporels. Il a donc fallu développer une technique anatomique pour récupérer les fluides sans perte – c’est ce qui s’appelle la ponction cardiaque, une aspiration du sang via l’utilisation d’un tube de ponction directement placée dans le cœur préalablement percé. » Dans l’Hexagone, on estime à 700 ou 900 thanatopracteurs en exercice. « Il n’y a pas de chiffres précis car la thanatopraxie ne bénéficie pas d’un numéro d’INSEE, mais je peux vous assurer qu’il n’y a pas de chômage dans ce milieu car il y a plus de postes à pourvoir que de thanatopracteurs sur le marché ! »


L’ascension des 100 soins

La France est très tatillonne sur l’accès à ce métier très réglementé. Ainsi, la thanatopraxie fonctionne via un concours national sous l’égide du ministère de la Santé qui, chaque année, recrute 60 personnes sur numerus clausus pour près de de 340 candidats. Pour participer à ce concours, il faut justifier d’une formation purement théorique de 195 heures minimum demandant d’explorer de nombreux sujets en matière de médecine légale, d’anatomie, de droit, de gestion, de microbiologie… Cette formation peut se faire en faculté – seules les villes de Lyon et Angers proposent un diplôme technique universitaire (DUT) de thanatopraxie – ou en école privée (voir encadré). « Avant de rentrer en formation, il convient toutefois d’assister à un premier soin, conseille Nicolas Delestre. C’est très important car certaines personnes peuvent faire un malaise, un rejet ou simplement réaliser qu’elles se faisaient une fausse idée de la thanatopraxie. » Ce n’est qu’après la réussite au concours que débute la pratique auprès d’un maître de stage (un thanatopracteur en exercice), le Padawan de l’embaumement devant alors réaliser à ses côtés 100 soins minimum. Une fois ce quota atteint et l’aval du maître obtenu, il passe un examen en réalisant un soin de conservation devant un jury d’examinateurs, sur un corps donné à la science. Selon les points reçus, il peut enfin devenir thanatopracteur et intégrer la liste publiée par le ministère de la Santé dans le Journal officiel tous les deux ans.


Un métier à risque ?

Ce parcours, c’est celui qu’a décidé d’embrasser Claire Boucher. Devenue thanatopractrice après des études initiales en biologie, la jeune femme aime profondément son métier, mais ne le conseille pas pour autant aux âmes sensibles comme à celles qui pensent que préparer au repos éternel est de tout repos : « C’est un métier dangereux de par l’usage de produits nocifs comme le formol ou l’alcool, qui demande une attention permanente. C’est aussi un métier prenant, qui n’a pas d’horaire et demande de travailler les jours fériés, avec très peu de vacances. Enfin, il faut avoir conscience de son aspect difficile et solitaire: il y a des risques psycho-sociaux – ce n’est jamais simple de travailler sur des corps parfois très délabrés – et d’un point de vue physique, on fait énormément de route en trimballant beaucoup d’affaires, avec également un certain nombre de manipulations à faire sur le corps… On est généralement seule dans la voiture comme en laboratoire. » Il ne faut pas non plus croire que manipuler des corps vous permettra aisément de manipuler ensuite les cours de la bourse. En effet, les salaires d’embauche sont relativement bas par rapport au travail demandé, en comprenant bien souvent un fixe – qui tourne autour de 1 400 euros – en fonction du nombre de soins réalisés par mois, auquel s’ajoutent des primes de soins par corps selon les dépassements. « Tout dépend si l’on est salarié ou indépendant, mais aussi de l’employeur en lui-même. Certains peuvent payer plus encore. Mais il ne faut pas faire ce métier pour l’argent ! »


OK, (em)baumeurs

 La thanatopractrice souligne également la particularité de sa profession, définitivement à part même d’un point de vue administratif. « Ce n’est pas un service public. Nous aimerions pouvoir être considérés comme des professionnels de la santé, dans le sens où nous pratiquons des soins, mais dans les faits, nous faisons partie du funéraire et travaillons bien souvent en tant que prestataires externes aux pompes funèbres. Toutefois, certaines pompes funèbres plus importantes peuvent avoir leur propre thanatopracteur, mais dans ce cas, il lui arrive aussi d’être conseiller funéraires, de faire des démarches en mairie ou du transport en parallèle… On ne travaille généralement pas en direct avec les familles. C’est très rare quand cela arrive car, même si elles peuvent nous contacter, cela leur ajoute des démarches et, du reste, elles ne savent pas toujours que c’est possible. » Cela ne l’empêche pas d’être passionnée par ce métier qui met au même niveau abnégation, discrétion, humilité et motivation. « On doit toujours trouver de nouvelles solutions par soi-même quand on se retrouve face à un cas que l’on n’a pas vu auparavant. C’est un métier qui vous pousse à réfléchir, à apprendre en permanence et à découvrir de nouvelles techniques. » Reste le manque de reconnaissance, difficile à accepter, qui s’explique avant tout par les caractéristiques de ce travail de l’ombre. « On n’est pas non plus vraiment estimés car on est rarement en contact avec les familles et que l’on travaille avec la mort et des morts. Même dans le funéraire, du fait de notre proximité avec les corps, on est un peu mal vus. » Malheureusement, les clients dont Claire prend soin n’ont plus la possibilité de leur laisser un avis positif sur Google. C’est sans doute cela qu’on appelle un regret éternel.


Les formations :

Si vous souhaitez rejoindre suivre la formation théorique en thanatopraxie, le public ou le privé s’offrent à vous. Le premier concerne uniquement deux établissements : l’Université Claude Bernard à Lyon et l’Université d’Angers. Dans le privé, des formations sont aussi proposées via une poignée d’entités : l’Institut français de thanatopraxie (Garges-lès-Gonesse), l’Assistance et Formations Internationales Thanatopraxie Thanatoplastie (AFITT, pour des formations proposées à Lyon et en Bretagne), Accent-formation (Vedène), l’École de formation funéraire Les Alyscamps (EFFA, Paris), la Wilkins Embalming Academy (Vainxains), Nova Formation (Montpellier), Alfa Formation (Le Lamentin) ou encore Eclipse – Istec (Montpellier)


Des momies et des hommes :

Si vous voulez explorer d’autres facettes de la thanatopraxie et de l’embaumement, pourquoi pas partir visiter la célèbre crypte de Saint-Bonnet-le-Châteauet ses momies antérieures à 1650 ? De l’autre côté des Alpes, n’hésitez pas non plus à visiter les catacombes des Capucins à Palerme, en Sicile, et à découvrir l’impressionnante dépouille de la jeune Rosalia Lombardo, qui semble endormie depuis plus de 100 ans. Passez aussi faire un tour à l’incroyable Musée d’anatomie de Naples. Enfin, ne manquez pas le Salon professionnel international de l’art funéraire qui se déroule tous les deux ans au Parc des Expositions du Bourget (la prochaine édition aura lieu du 17 au 19 novembre 2021). C’est l’occasion de découvrir les nouvelles techniques d’injections, les nouveaux produits, les nouveaux fluides…

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