« UX ». Peut-être êtes-vous déjà tombé sur cet acronyme néo-futuriste sans trop savoir de quoi il en découle. Derrière ces deux lettres se cache en fait l’appellation « User Experience » (ou « expérience utilisateur » dans la langue de Booba et Molière), une approche qui, dans le monde du design, remet au goût du jour l’idée de toujours considérer le client comme roi en favorisant la psychologie et l’ergonomie.
« Vous ne viendrez plus chez nous par hasard ». À bien y penser, ce célèbre slogan employé dans les années 1990 par Total pour vendre ses stations-service pourrait totalement coller à la raison d’être des UX designers. En effet, ces derniers ne sont pas de « simples » graphistes juste bons à imaginer le bon bouton ni à connaître par cœur le nuancier Pantone. Cela, Olivier Mokaddem l’explique très bien. Directeur de Fast & Fresh (« une agence de stratégie, de psychologie et d’UX design ») et responsable du Master Innovation de l’école Sornas (en plus d’être enseignant à l’IFA Paris et à Epitech Digital), il voit dans l’UX l’aboutissement d’un processus créatif avant tout centré sur l’humain et, de facto, une sorte d’ergonomie nouvelle génération. « Ce qui est paradoxal, c’est que c’était comme ça à l’origine, note ce psychologue de formation. Au départ, avant d’aller vers l’ergonomie, tu faisais de la psychologie cognitive et sociale car l’ergonomie était considérée comme une spécialité de la psychologie, un peu comme les médecins qui peuvent se spécialiser en cardiologie. Sauf qu’à un moment donné, l’ergonomie s’est perdue. Désormais, elle revient et, aujourd’hui, de plus en plus d’UX designers se réclament des sciences humaines et de la psychologie. »
L’ergonomie contre l’agonie
Ce déclin de l’ergonomie, Olivier Mokaddem en connaît les causes. L’une d’elles concerne la mondialisation et l’augmentation de la concurrence qui en a découlé. « On est passé de marchés nationaux, plus petits, à un marché global et international. Si bien qu’au début des années 2000, Toyota est devenu le premier vendeur de voitures aux États-Unis, devançant Ford et General Motors. Idem pour l’électronique avec Sony damnant le pion aux entreprises américaines sur leur territoire. Puis Internet est arrivé, renforçant encore cet agrandissement du marché, avec ses boutiques en ligne ouvertes 24h/24, 7j/7. La compétition étant au cœur de la machine, les marques ne se sont plus retrouvées face à trois acteurs, mais face à 500 000 concurrents potentiels. » Forcément, quand on se retrouve à vivre dans l’urgence, confronté à une lutte aussi âpre, il est difficile de prendre le temps de la réflexion pour mieux comprendre ses clients. Heureusement, la panique a depuis laissé de nouveau place à la raison chez de nombreuses entreprises qui, pour subsister, ont bien compris qu’il était temps de remettre l’église – ou plutôt le consommateur – au centre du village planétaire : « Dans un marché avec une énorme concurrence, les usagers peuvent très vite passer à autre chose. Si tu n’as pas d’expérience utilisateur, que ton produit n’est pas de bonne qualité et que tu n’es pas sympathique, les gens te zappent. »
En finir avec les idées reçues
Au-delà de l’économie, l’autre grande cause de ce déclin proviendrait de deux malentendus persistants qui, chacun à sa manière, ont longtemps consisté à décorréler l’UX design de sa réelle vocation. Ce premier quiproquo est à mettre à l’actif des formations. « Les UX designers étaient très issus d’écoles de graphisme ou de marketing, des écoles majoritairement privées n’ayant pas ce lien avec les sciences humaines comme peuvent l’avoir les facultés et universités, poursuit l’intéressé. Ce n’était donc pas naturel pour elles d’avoir des filières dédiées ni connectés à la psychologie. » Le second imbroglio repose lui sur la cantonisation de l’UX au seul monde digital. Une erreur absolue selon Olivier Mokaddem : « Penser que l’UX est né avec le digital, c’est faux : cela existait bien avant. Mon professeur d’ergonomie de l’époque faisait déjà de l’UX en travaillant pour des aéroports, des process industriels, de grandes entreprises… Mais cela ne s’appelait pas comme ça ! Un bon exemple, c’est celui du français Raymond Loewy, qui est devenu l’un des plus grands designers aux États-Unis. Il est aussi l’auteur d’un livre incontournable, « La laideur se vend mal » dans lequel, dès les années 1930, il parlait déjà de l’expérience utilisateur sans utiliser ces termes-là. (…) Au fond, l’ergonomie, c’est aller d’un point A à un point B. Tu prends une bouteille d’eau et tu l’ouvres sans galérer : c’est de l’ergonomie. Et bien l’UX, c’est tout ce que tu vas avoir autour, qui va te faire préférer telle marque à une autre. C’est un système qui permet de garder les utilisateurs/consommateurs dans la boucle, parce que le service que tu leur proposes est plus confortable. »
Changer son UX d’épaule
Pour faire du bon UX, la démarche est donc globale. Chez Fast & Fresh, elle se décline en trois pôles : un département de psychologues, qui fait de la recherche utilisateur dans le but de comprendre le comportement des utilisateurs ; un département de stratégie, pour convertir en innovation cette recherche, quand on a compris ce dont les gens ont besoin ; et, enfin, un département d’UX Design, pour véritablement designer les services et les produits. À cela s’ajoute une dimension politique sous-jacente. « Moi, je me considère plus comme un ergonome, pour la simple et bonne raison que l’ergonomie, c’est de l’anti-Taylorisme : on se pose d’abord la question de l’humain dans la machine, décrypte Olivier Mokaddem. C’est même quasiment une lutte ouvrière à l’origine, quand on a cherché à savoir comment faire pour redonner un degré de latitude à des ouvriers aliénés par des machines dans les usines. Toutefois, cela n’apporte pas toujours quelque chose d’intéressant. Prenons le cas d’Amazon, qui te livre très bien et a donc une très bonne expérience utilisateur. Paradoxalement, ce système-là n’est pas émancipateur pour les gens ni très bon pour l’environnement. Il y a donc une différence à faire entre l’UX bonne pour l’entreprise et celle qui émancipe les gens, qui est utile. Nous, on cherche toujours à trouver l’équilibre entre les besoins économiques de la marque – trouver des clients pour vivre – et le fait d’être l’avocat des usagers, pour les aider à construire ou à se reconstruire. » Et, quelque part, les soigner.
Formations : gare aux faUX cursus !
Vous l’aurez compris : si de nombreuses formations utilisent l’UX (et parfois « UI », pour « User Interface ») pour attirer le chaland avide de changer le monde, toutes n’ont pas encore compris l’importance d’inclure les sciences humaines dans leur cursus. De fait, l’aspirant UX designer se retrouve bien souvent confronté à un choix cornélien : suivre successivement deux formations distinctes (par exemple, l’École Multimédia « récupère » des psychologues après leur parcours pour les former en UX) ou alors opter pour une formation unique, en prenant le risque de se fourvoyer avec un diplôme finalement incomplet. Pour éviter cet écueil, Olivier Mokaddem conseille avant tout de fuir les formations de design ne mélangeant pas les enseignements ni les enseignants. « Il faut une richesse, des matières variées et des professeurs avec des partis pris forts, que les élèves ne fassent pas uniquement des maquettes, mais puissent aussi découvrir l’architecture, s’essayer au Design Thinking, au Game Design… Le design avec un grand D, c’est d’abord se poser des questions sociales, sociétales, éthiques, sur des sujets parfois graves… » Et pour cela, les formations en bac+5 semblent prioritaires.
L’UX designer, un profil qui plaît
Parce qu’il devient essentiel pour les marques de savoir garder leur clientèle tout en réfléchissant sur la portée éthique de leur activité, on serait tenté de voir l’UX Designer comme un profil très recherché… et c’est vrai ! Dans une récente étude, la Grande École du Numérique plaçait le métier d’UX designer dans le top 15 des métiers les plus recherchés par les entreprises et parmi les cinq métiers connaissant la plus haute progression. Côté salaire, on estime qu’un UX designer débutant gagne aux alentours de 2 500 euros mensuels.